Thomas de Jésus (FR)



THOMAS DE JÉSUS (1564-1627)


1. Vie. 

— La personnalité de Tomás de Jesús eut un tel impact sur le Carmel thérésien que, cinquante ans après sa mort, l'historien de l'Ordre José de Santa Teresa n'hésita pas à affirmer que Tomás de Jesús est, « après les fondateurs, Thérèse d'Avila et Jean de la Croix, celui qui l'a le mieux représenté » (Reforma, t. 4, p. 676). Éloges mérités mis à part, Tomás est certainement l'un des principaux personnages que la seconde génération thérésienne offrit à l'Église et à l'histoire de la spiritualité chrétienne. A quatre siècles de distance, certaines perspectives ont pu changer, mais trois qualités éminentes lui demeurent : l'équilibre certain du charisme thérésien, le désir d'un apostolat ouvert sur l'Europe et une prodigieuse production dans le domaine de la théologie spirituelle et de la missiologie.
On peut distinguer deux périodes dans la vie de Tomás de Jesús : la période espagnole et la période européenne.

1° PÉRIODE ESPAGNOLE (1564-1607). 

— Díaz (Diego) Sánchez naquit à Baeza (Jaén), en 1564 ; il était le troisième des cinq fils de Baltasar Dávila et de Teresa Herrera.
Ses frères obtinrent des grades académiques élevés, et certains de sa parenté paraissent dans les sphères de la noblesse de Rome et de Bruxelles. Intelligence ouverte, Tomás suit, très jeune, les cours des arts et de théologie à l'université de Baeza. En 1583 il part pour Salamanque afin d'obtenir ses grades en droit. Là, le maître Baltasar Céspedes lui ayant fait l'éloge du style d'une moniale qui l'avait touché, Tomás lut l'Autobiographie de Thérèse de Jésus et fut séduit non seulement par la beauté du récit mais aussi par la merveille de ses « cuatro aguas » ou formes d'oraison du chapitre 18. Un de ses compagnons d'étude, Fernando del Pulgar y Sandoval, entra au Carmel sous le nom de Francisco de Santa Maria (1564-1646 ; DS, t. 5, col. 1055-56). Diego le suivit un mois après, prenant, par dévotion envers l'Aquinate, le nom de Tomás de Jesús. En avril 1586, il commença son noviciat à Valladolid, où il fit profession le 4 avril 1587 entre les mains du P. Jérôme Gracián (DS, t. 8, col. 920-28) ; il montrait déjà des dons d'écrivain, comme le faisait remarquer Blas de San Alberto, son maître des novices.
Il connut saint Jean de la Croix qui, définiteur, participa au chapitre général du 19 avril 1587. Après deux années qu'il passa dans la cité castillanne comme « maestro de estudiantes », il fut ordonné prêtre (1589). Sur les instances du vicaire provincial du Portugal, Gregorio Nacianceno, il fut nommé lecteur de théologie au couvent de Séville. Là, pendant deux ans, il alterna l'enseignement et des recherches de spiritualité monastique. L'humidité du climat ainsi que ses austérités lui causèrent de graves insomnies et à la fin de 834 1591 ses supérieurs le transférèrent au célèbre collège de Saint-Cyrille, à Alcalá de Henares, où il cumula son enseignement et la charge de vice-recteur (jusqu'au printemps de 1594).
De ces années d'enseignement (1589-1592), Tomás date l'idée de fonder des « déserts et ermitages » (« desiertos y casas de yermo ») pour les Déchaux. A Séville, il communiqua son projet à ses élèves (Alonso de Jesús María et Francisco de Santa María), puis l'exposa au vicaire général Nicolas Doria. Celui-ci le refusa tout d'abord. Heureusement à Alcalá Tomás fut encouragé par d'autres religieux (Juan de Jesús María et Gregorio Nacianceno). Une nouvelle entrevue eut lieu avec Doria à Madrid, au printemps 1592 ; celui-ci reçut positivement ce projet érémitique et recommanda son exécution immédiate. Le premier « désert » de la Réforme vit le jour le 7 août 1592, à Bolarque, grâce à l'intervention directe de Tomás et d'Alonso de Jesús María, futur général de l'Ordre, plus enthousiaste pour la retraite que pour l'effort missionnaire de son professeur (cf. Fundaciones, AGOCD-Rome, ms 334-b, p. 1-2 ; Relación, AS-Burgos, 83-C). Voir DS, art. Déserts, t. 3, col. 534-36.
En 1594 Tomás fut nommé prieur du couvent de Saragosse récemment fondé, où il fut célèbre pour ses dons de conseiller spirituel. Il y entra en relation avec le deuxième biographe de sainte Thérèse, l'évêque de Tarazona Diego de Yepes. Au chapitre général du 25 mai 1597, à Madrid, il fut nommé, à 33 ans, provincial de la Vieille-Castille ; au cours de son gouvernement il put réinstaurer les « colaciones espirituales », donner à l'imprimerie ses deux premiers ouvrages (Libro de la Antigüedad y Sanctos de la Orden et Commentaria in Regulam, Salamanque, 1599) et fonder le désert de San José de las Batuecas (5/7/1599), dans la province de Salamanque. C'est dans cet ermitage qu'il se retira à la fin de son provincialat, bien qu'il eût été nommé définiteur général au chapitre général tenu à Tolède le 8 septembre 1600. Il resta dans cette solitude jusqu'en 1607, avec la charge de prieur du désert (1604-1607) ; il construisit l'édifice, écrivit différents traités spirituels sur l'oraison (Primera Parte del Camino espiritual de oración y contemplación) et donna sa vision de Thérèse d'Avila dans la biographie de la sainte (Vida, virtudes y milagros) publiée à Saragosse, en 1606, sous le nom de Diego de Yepes.
Dans sa retraite de Las Batuecas il se sentait heureux comme ermite contemplatif, expression suprême du charisme thérésien-sanjuaniste. Cependant, c'est là que survint ce que les historiens appellent sa « conversion misionera », et que lui-même qualifie de « mutation si grande » (« mudanza tan grande ») dans un ms autobiographique (Fundaciones, AGOCD-Rome, ms 334-b). Vers le milieu de son priorat à Las Batuecas (1606), il reçut une lettre de François du Saint-Sacrement, prieur de Gênes, l'invitant à sortir de sa retraite pour en partager les fruits dans l'apostolat. Tomás répondit que sa vocation était d'être ermite et qu'il ne pensait pas en changer à moins que l'obéissance ne lui commande autre chose, et qu'alors il irait dans « n'importe quelle partie du monde » (ms cité, p. 5). De son côté, Pierre de la Mère de Dieu (1565-1608), alors commissaire général du Carmel italien, ami du pape 835 Paul V et surintendant des missions catholiques, insista aussi : Tomás aurait à restaurer la mission du Congo, abandonnée par la congrégation espagnole, et pourrait en plus accompagner une légation pontificale jusqu'en Abyssinie. Tomás répondit « qu'il n'avait rien à dire sur ce point » (Reforma, t. 4, p. 699).
Ce que les sollicitations humaines ne purent obtenir, la motion intérieure de la grâce l'obtint ; un beau jour, « sintió una mudanza tan grande que estando antes muy contrario, acabada la misa se halló muy movido e inclinada la voluntad a aceptar aquella misión » (Fundaciones, p. 5). Il fit voeu de travailler à la « conversion de tous ceux qui sont hors de la Sainte Église » (Reforma, t. 4, p. 689) et en avertit Pierre de la Mère de Dieu. Celui-ci s'empressa de se l'attacher par un bref du pape que lui transmit le nonce à Madrid, G. Mellini. Les supérieurs d'Espagne ne savaient rien de ces tractations secrètes, et au chapitre général de Pastrana (5/5/1607), ils élirent de nouveau Tomás comme prieur de Saragosse. Il prit possession de sa charge, mais vers le milieu de novembre 1607, un jour avant que les émissaires du général Alonso de Jesús María ne veuillent s'emparer de lui comme rebelle, il partit pour Rome, par obéissance au pape.

2° PÉRIODE EUROPÉENNE (1608-1627). 

— Elle fut marquée par une activité apostolique infatigable. A peine arrivé à Rome dans les premiers jours de janvier, Tomás traite de la mission du Congo et d'Abyssinie qu'on pensait lui confier. Cependant le projet que Pierre de la Mère de Dieu lui proposait échoua à cause de l'opposition de la cour espagnole et des instances d'Alonso de Jesús María. Alors Tomás conçut l'idée de créer un institut exclusivement missionnaire, distinct des deux congrégations carméltaines, qu'il appela « congregatio Sancti Pauli ». Il présenta les fins et les personnes du nouvel institut au pape, qui donna son approbation le 22 juin 1608. Deux mois plus tard (26/8/1608), Pierre de la Mère de Dieu mourait subitement. L'« excessif zèle missionnaire » de Tomás rencontra une telle opposition dans tout l'Ordre thérésien que Paul V, pressé de toutes parts, décida de supprimer la nouvelle congrégation missionnaire, cinq ans plus tard (7/3/1613).
Dans l'intervalle Tomás ne perdit pas son temps. Il recueillit la pensée des grands missiologues italiens, Pierre déjà nommé et Jean de Jésus-Marie (DS, t. 8, col. 576-81), et consacra les années 1608-1610 à écrire ses deux ouvrages fondamentaux de missiologie, Stimulus Missionum et De conversione omnium gentium procuranda, dans sa retraite romaine au couvent de La Scala. Il prit une option décisive, espérant que le Seigneur « le abriría algún camino para ayudar a las almas » (Fund., p. 12). Son souci missionnaire rencontra rapidement de nouvelles occasions apostoliques. Les carmélites déchaussées de France (Paris, 1604) demandèrent la présence des frères. Devant la réponse négative des espagnols, elles s'adressèrent à la congrégation italienne. Son général, Ferdinando de Santa Maria (1558-1631) savait que Tomás irait avec joie (il avait reçu des invitations répétées d'Anne de Saint-Barthélemy alors qu'elle était en Espagne ; cf. DS, t. 1, col. 676-77). Il obtint de Paul V une lettre patente en faveur de Tomás comme supérieur en charge « pro iuvandis fidelibus ac haereticis ad fidem reducendis » (15/10/1609). Tomás se mit en route pour les Pays-Bas le 14 avril 1610, avec six religieux et une lettre de recommandation du pape pour l'archiduc Albert d'Autriche (Fund., p. 17).
836 Durant ses treize ans de séjour en Flandre (août 1610 — mai 1623) il eut une activité apostolique vertigineuse ; il écrivit et fit imprimer différents traités spirituels : Práctica de la fe viva, 1613 ; Método para examinar y discernir el espiritual aprovechamiento, 1620 ; De contemplatione divina, 1620 ; De oratione divina, 1623. Il répandit la présence du Carmel en Belgique, en France, en Allemagne, avec dix couvents de frères et six de moniales. Ces nouvelles fondations donnèrent une grande influence à la famille thérésienne, depuis le Désert de Marlagne à Namur (29/7/1619) jusqu'au séminaire des missions de Louvain (1621) où se formèrent les jeunes pour travailler à la conversion des hérétiques par toute l'Europe. En 1614, Tomás fut nommé prieur de Bruxelles, avec juridiction sur toutes les maisons belges et allemandes. En 1617, il fut élu premier provincial de la province carmélitaine de Belgique, nouvellement créée.
Élu définiteur de la congrégation d'Italie par le chapitre général (Loano, 5/6/1623), il retourna à son ancien couvent romain de La Scala. Là, il s'occupa de la révision des Constitutions des Carmes (1623-1625), et termina la rédaction de différents écrits. Une arthrose progressive, dont il avait toujours souffert, le cloua définitivement au lit les deux derniers mois de sa vie. Entouré de l'estime et de la vénération de tout l'Ordre, il mourut le 2 mai 1627.
Homme menu et de tempérament nerveux, entièrement donné à sa vocation carmélitaine, il fut très apprécié pour sa prudence dans la charge de supérieur, qu'il exerça dès l'âge de trente ans, sans que les difficultés lui aient manqué en Espagne, Italie et Belgique. Tomás de Jesús était homme de travail et de silence intérieur. C'est ainsi seulement qu'on peut comprendre le double rythme contemplatif et apostolique de celui qui, au jugement de Francisco Suárez, fut « varón doctísimo al par que religiosísimo » (cf. Silverio, HCD, t. 8, p. 597).

2. Écrits. 

— Ayant étudié les langues, la théologie et le droit, Tomás de Jesús est connu comme un grand auteur de livres et de traités spirituels. Nous avons déjà mentionné certaines de ses oeuvres. Cependant sa production littéraire est très abondante, difficile à cataloguer et en bonne partie inédite. L'état actuel de la critique historique a cependant établi ceci :

1° ÉCRITS PERSONNELS.
 
— Du vivant de l'auteur parurent 15 titres différents en castillan, latin ou français (1599-1626). Il semble qu'il ait pensé à une édition d'ensemble si l'on en juge par le premier catalogue de ses oeuvres envoyé de Belgique en 1623 à l'historien général de l'Ordre (Reforma, t. 4, p. 706-07).
On y trouve 23 titres répartis en quatre tomes, mais il y manque le Libro de la Antigüedad y Sanctos de la Orden (Salamanque, 1599). La liste la plus complète des premiers écrits est celle qui a été faite en 1632 par le carme allemand Paul de Tous-les-Saints, pour l'impression complète des écrits de Tomás. A la demande d'Urbain VIII, le chapitre général d'Italie lui confia cette tâche, qu'il répartit en trois volumes des Opera omnia ; les deux premiers parurent à Cologne en 1684 et rassemblent 12 ouvrages. 12 autres étaient réservés au troisième, mais il ne fut jamais publié.
En 1949, l'historien José de Jesús Crucificado a donné une étude critique sur ces 24 écrits authentiques et sur d'autres mentionnés par différents bibliographes (C de Villiers, Bibl. Carmelitana, t. 2, col. 817). Dans ses conclusions il énumère 22 ouvrages publiés jusqu'à cette date, 20 autres 837 inédits (dont 8 originaux sont conservés aux Archives Générales O.C.D. à Rome = AGOCD ; deux des 10 restants manqueraient, ainsi que d'autres mentionnés par différentes sources). Trente écrits sont conservés jusqu'à ce jour ; mais il est difficile pour la critique littéraire d'identifier le reste, non seulement à cause de la perte possible des mss, mais aussi parce que, dans les listes anciennes (y compris dans celles de l'auteur lui-même), on ne distingue pas toujours un écrit de ce qui n'est que projet, ou parce qu'un même ouvrage peut paraître avec un titre différent (cf. José, t. 1, p. 325-49).
La même année, Simeón de la Sagrada Familia s'occupa d'un ms de la Biblioteca Nac. de Madrid (BNM, ms 6533) qui offre l'oeuvre spirituelle fondamentale de Tomás : Primera/parte del/ Camino espi/ritual de oración y contemplación (cf. Simeón-2). Les arguments de ce spécialiste en faveur de son attribution à notre carme ne laissent aucun doute à ce sujet et éclairent la relation de cet écrit avec d'autres oeuvres de Tomás, qui pourraient bien constituer l'éventuelle « deuxième partie » de ce Camino espiritual (autrefois attribué à José del Espíritu Santo, 1609-1674 ; DS, t. 8, col. 1395-97). Les recherches, commencées par Simeón, ont été complétées par Matías del Niño Jesús (Indice de manuscritos carmelitanos en la BNM, dans Eph. Carm., t. 8, 1957, p. 187-225) qui donne une description des écrits déjà connus (cf. Simeón-2, p. 444-45), ainsi que d'autres oeuvres authentiques de Tomás : Vida de la M. Catalina de Cardona (n. 338), Tratado de la Mística Teología (n. 335), Cautelas y Tratado de la oración (n. 20), Censuras del libro De la Antigüedad y Sanctos del Carmelo (p. 241 : dans Arch. Hist. Nacional, Inquisición-Censuras, n. 787).
Cette dizaine de mss madrilènes ajoute quatre nouveaux titres aux huit conservés inédits dans AGOCD-Rome ; la recherche aura à confronter ces mss à ceux d'autres bibliothèques particulières (Carmélites de Pampelune : Suma de via unitiva, f. 284-97 ; Carmes déchaux de Ségovie : Del modo de caminar por la mística Theulujía, f. 3r-28r), etc. Tâche compliquée, mais nécessaire, si l'on veut affiner la critique de la production littéraire de Tomás de Jesús.
Voici la liste des ouvrages de Tomás ; nous indiquons entre parenthèses ceux qui sont publiés dans les Opera, cités O avec indication du tome (2 vol. Cologne, 1684).
Libro de la antigüedad, y Sanctos de la Orden…, Salamanque, 1599. — Commentaria in regulam primitivam Fratrum Beatae Mariae… de Monte Carmeli, Salamanque, 1599 (O I). — Stimulus Missionum…, Rome, 1610 (O I). — Suma y Compendio de los grados de oración… et Tratado Breve de la Oración mental y de sus partes, Rome, 1610 (cf. Via Brevis, Bruxelles, 1623 ; BNM, ms 8273).
De Procuranda Salute omnium gentium… Libri XII, Anvers, 1613 (O I). — Práctica de la viva fe…, Bruxelles, 1613 (O II). — Commentaria in caput « Non dicatis »…, Anvers, 1617 (O I). — Reglas para examinar y discernir el interior aprovechamiento, en latin, Bruxelles, 1620 ; en français, Paris, 1620 ; en espagnol, Barcelone, 1621. — Relatio fide digna De sanctitate vitae ac miraculis Ioannis Rusbrochii, Anvers, 1623 (rééd. par Anastasio de San Pablo dans Jan van Ruusbroec, Malines, 1931). — De contemplatione divina Libri sex, Anvers, 1620 (O II).
Divinae Orationis sive a Deo infusae … Libri quatuor, Anvers, 1623 (O II). — Orationis mentalis Via brevis et plana…, Bruxelles, 1623 (O II). — De Regularium visitatione Liber, Rome, 1625 (O I). — Instrucción espiritual para los que profesan la vida eremítica, Madrid, 1629 (O II). — Scala Salutis, Cologne, 1650 (en allemand ? ; cf. José-1, p. 332). — Traité de la contemplation divine, Liège, 1675 (très rare ; cf. AGOCD-Rome, ms 333-a2).
838 Commentaria in quaestiones 171-175 IIa IIae Divi Thomae, ubi de raptu, extasi et prophetia (O II, p. 367-453). — Epistola de regimine praelatorum (O I, p. 749-51). — Quaestio utrum rex vel princeps catholicus possit permitiere libertatem conscientiae in suo Regno (O I, p. 751-53). — Trattato della presenza di Dio, Rome, 1685 (rare ; Rome, 1743 ; BNM, ms 12658). — De contemplatione acquisita, Milan, 1922. — De variis erroribus Spiritualium tam huius quam pristini aevi et de vera theologia mystica, éd. J. Orcibal dans La Rencontre…, Paris, 1959, p. 174-77, de même que Censura in libellum « Theologia Germanica » (p. 178-224).
Inédits : Apologia pro defensione B.M.N. Teresiae (AGOCD, ms 387-bc). — Rhetorica spiritualis in concionibus habenda (AGOCD, ms 331-i). — Fundaciones. De la fundación del convento de Bruxellas, Paris, Lowayna, Colonia (AGOCD, ms 334-a). — Repertorium… in ordine ad libros de contemplatione et oratione (AGOCD, ms 334-a). — De virtutibus, libris et vita S. Matris Teresiae (AGOCD, ms 385-e). — Suma de las cosas que están probadas en los procesos de Canonización (de Thérèse d'Avila ; AGOCD, ms 387-a). — Scholios sobre los libros de nra. S. Madre (AGOCD, ms 387-d).
Examen de espíritus (AGOCD, ms 333-d). — De los tres estados de perfección en común (AGOCD, ms 333-d). — Primera parte del Camino espiritual de oración y contemplación (BNM, ms 6533). — Vida de la V. Catalina Cardona (BNM, ms 3537, f. 326-37). — Cautelas y tratado de oración (BNM, ms 12398, f. 32-172). — Censuras del libro « De la Antigüedad y Sanctos… » (AHNM, Inquisición-Censuras, ms 787). — Tratado de la Mística Teología (BNM, ms 12658, f. 11-26). — Tratado de la presencia de Dios (ibid., f. 168-73).
Inédits dont l'attribution doit être encore étudiée : Primera parte del Tratado de oración y contemplación (BNM, ms 8273, f. 81-151 ; ms 12398 plus complet). — De varios nombres y grados y effetos de la oración sobrenatural (BNM, ms 6873, f. 1-4). — Tratado de la oración y contemplación (ibid., f. 4-127). — Mystica theologia (ibid., f. 128-51). — Modo breve para saber tener oración (ibid., f. 152-79). — Del modo de caminar por la mística Theulujía (Carmel de Ségovie, ms f. 197-221 ; cf. BNM, ms 12658). — Suma de la via unitiva (Carmel de Pampelume, ms f. 284-97).

2° ŒUVRES EN COLLABORATION. 

— Les oeuvres de tomás n'apparaissent pas toujours sous sa signature, comme il le dit lui-même dans le Prólogo de son Tratado de Oración mental (Rome, 1610, p. 177). Les dernières études attribuent à Tomás une participation indéniable à d'autres oeuvres : 1) à l'Ordinario y Ceremonial de los Religiosos primitiuos Descalzos (Madrid, 1590 ; cf. Simeón-5, p. 136) ; — 2) ch. 8e de la 2e partie des Constituciones O.C.D. d'Espagne (Madrid, 1604), intitulé « De Eremi Constitutionibus » (art. cité, p. 141) ; — 3) il est avec Diego de Yepes, co-auteur de la Vida, virtudes y milagros de la B. Virgen Teresa de Jesús, surtout pour le ch. 15 (Saragosse, 1606 : cf. Tomás Alvarez).

3° ATTRIBUTIONS FAUSSES. 

— J. Krynen, dans son ouvrage Le Cantique Spirituel… refondu au 17e siècle (Salamanque, 1948), attribue à Tomás la 2e rédaction du Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix (p. 229-336). Cette opinion a été rejetée par la critique sanjuaniste (cf. Juan de Jesús-María Saera, El ‘Cántico Espiritual' … Con ocasión de la obra de J. Krynen, dans Eph. Carm., t. 4, 1950, p. 3-70). De même pour le Tratado breve del conocimiento oscuro de Dios que certains auteurs attribuent à Tomás (cf. Simeón-4).
Concluons cette description des écrits de notre auteur ; on compte 24 ouvrages édités (traduits et réédités en diverses langues), ainsi que 16 inédits existants 839 et ses 3 écrits en collaboration ; il faut y ajouter son riche epistolario dont la recherche tirera de nouveaux détails biographiques et littéraires. Tomás échangea une correspondance avec les principales figures de son temps et reçut de la seule Anne de Saint-Barthélemy plus de cinquante lettres aujourd'hui connues (cf. J. Uzquiza, dans M.H.C.T., t. 7, Rome, 1985).

3. Doctrine spirituelle. 

— Il est possible de présenter la pensée spirituelle de Tomás de Jesús telle qu'elle est donnée par ses écrits imprimés et inédits. Malgré les aspects divers de ces écrits (historique, théologique, juridique et spirituel), nous nous arrêterons seulement à la doctrine spirituelle, aspect le plus important et aussi le mieux étudié. Nous présentons ici surtout sa doctrine sur l'oraison contemplative et la connexion de cette dernière avec sa doctrine sur les missions. Pour d'autres détails ou aspects le lecteur se référera à la bibliographie.

1° DE L'ORAISON À LA CONTEMPLATION. 1) Expérience personnelle. 

— Tomás de Jesús lit, s'informe et écrit pour s'éclairer lui-même et pour communiquer cette lumière aux autres. Il cache bien son affectivité, mais non la base de sa réflexion qui est sa propre expérience. Pour nous transmettre sa doctrine il se sert de schémas communs (les « trois voies », les « trois stades ») ou de distinctions originales et frappantes (« contemplation acquise-infuse ») et se présente comme un « tratadista » (auteur de traités) qui ordonne systématiquement la vie spirituelle autour des états d'oraison. Son insistance sur ces questions dans la dizaine d'oeuvres dédiées au même thème atteste sa préoccupation de couler dans des moules logiques son propre travail intérieur. Un de ses contemporains témoigne : « Pour ce qui est des livres qu'il écrivit sur la contemplation, je pense, quant à moi, que c'était la même chose que ce qui se passait dans son âme » (cf. Reforma, t. 4, p. 686). Vocation religieuse et vie de prière sont la même réalité d'après lesquelles il juge sa propre existence. Cette clarification faite, il peut ensuite élucider les contours de cette vie pour « ceux qui s'efforcent de servir Dieu en vérité » (De Oratione divina, Préf. au lecteur).

2) Sources générales. 

— Esprit organisé par sa formation scolastique et juridique, Tomás est aussi un érudit en spiritualité chrétienne. En plus de l'Écriture et de la doctrine des Pères, il recourt aux principes scolastiques pour « aclarar coherentemente » les réalités spirituelles qui, par leur nature même, sont obscures et, à cause du langage symbolique des mystiques, demandent à être « digérées » en termes plus accessibles à tous (cf. De Orat. div., Préf.). Sa pratique des auteurs spirituels lui permet d'accumuler « des centaines de citations » dans son Repertorium (AGOCD-Rome, ms 334-a ; José-1, p. 343).
Il ne semble pas possible de donner ici la liste de ces sources qui vont de saint Augustin et des principaux Pères jusqu'aux théologiens spirituels ses contemporains, en passant par les maîtres médiévaux, spécialement Bernard, Bonaventure, les Victorins et les grands mystiques de la Devotio moderna. On se reportera aux études de sa spiritualité (cf. José-2, p. 196, 203 ; Simeón-2, p. 458 ; Hoornaert, p. 357, 360, 367, etc.).
Dans ce courant, la doctrine de saint Thomas occupe une place à part. Tomás en tire des arguments ponctuels sur la nature de l'oraison et la fonction des vertus et des dons de l'Esprit Saint (Ia IIae, q. 108 = Div. Orat. I, 2), la nature perceptive 840 de l'expérience amoureuse (IIa IIae, q. 172 = De Contemplatione divina V, c. 11), et il lui consacre ses Commentaria in qq. 171-175 IIa IIae Divi Thomae, ubi de raptu, extasi et prophetia (dans ses Opera omnia, t. 2, p. 367-453) qui, dans le schéma doctrinal de notre auteur, concernent les plus hautes expériences mystiques (cf. José-2, p. 159, 203-05).

3) Inspiration thérésienne. 

— L'impact thérésien dans sa vocation d'orant inspire à Tomás un recours constant à l'expérience et à la doctrine de la sainte, surtout à propos de l'oraison, de l'expérience contemplative et des grâces mystiques extraordinaires. Comme elle, Tomás considère l'oraison mentale comme « una amistad y trato familiar con Dios » (Primera parte del Camino, p. 26v = Thérèse, Vida 8, 7 ; Camino 26, 6 ; etc.) ; à partir des écrits thérésiens, spécialement de Las Moradas, il compose son ouvrage-manuel Suma y Compendio de los grados de oración où, comme il le confesse, « no van treinta palabras mías » (Rome, 1610, Prol. ; cf. José-2, p. 163-64) ; et il consacre, plus tard, à la doctrine thérésienne ses Scholios sobre los libros de nra. Sta. Madre (AGOCD, ms 387-d), où il confronte sa propre pensée au sujet de l'oraison avec celle de la sainte (cf. José-2, p. 164-76).
L'étude et l'appropriation de la doctrine thérésienne par Tomás mettent en évidence son identité personnelle. Et ce, à partir de la ligne tracée par la Règle albertine du Carmel à laquelle il consacre ses premières recherches (Commentaria in Regulam primitivam, Salamanque, 1599). Sa vocation étant « la asidua meditación de la ley divina », « scopum potissimum » du carme (Expositio in Regulam, Anvers, 1617, p. 106), il pense que cet exercice contemplatif complété par un peu de travail manuel et d'attention aux « fieles » (Comm. in Regulam, p. 27, 153) suffisent pour vivre comme « mendiant ». Mais le livre des Fondations de Thérèse (c. 1) élargit sa vision spirituelle et l'ouvre à son activité apostolique. Il ne niera pas que les Déserts soient le lieu privilégié pour l'oraison et la demeure des carmes (Comm. in Regulam, p. 152), par conséquent, de plus de « profit et de fruit pour la Religion, pour pouvoir former des hommes de grand esprit et d'oraison » (cf. AS-Burgos, ms 83-C-3°, f. 5r) ; mais il expliquera son changement de mentalité par l'influence de l'« envidia » (zèle) apostolique de sainte Thérèse (Expositio in Regulam, Anvers, 1617, p. 108 = Fundaciones 1, 7).
La retraite érémitique est donc pour Tomás le lieu privilégié pour la contemplation. L'« oraison continuelle » (Const. O.C.D., 1604, 2a, c.8) est alors l'objet primordial de ceux qui l'habitent (cf. Instrucción para los que profesan la vida eremítica, Madrid, 1629, postérieure à la version latine de Louvain, 1626). Ainsi s'explique que Tomás ait mis par écrit la pédagogie qu'il avait vécue avec les ermites de Las Batuecas et qu'il ait rédigé là ses premiers traités spirituels : Tratado de la oración mental (vers 1604), Primera parte del Camino espiritual de oración y contemplación (avant 1607) et celui écrit pour ces mêmes ermites, De contemplatione divina (Anvers, 1620, f. 2). Ces ouvrages contiennent en substance toute sa doctrine sur la vie spirituelle. Ses écrits postérieurs la complètent sur des points secondaires ou développent à nouveau des schémas déjà annoncés.

4) L'influence sanjuaniste 

date de la même période de Las Batuecas. Parlant de lui-même à la troisième personne, Tomás écrit : « Le père était très heureux et très paisible dans cette solitude » (Fundaciones, 841 AGOCD-Rome, ms 334-b, c.1). Sa quiétude n'exclut ni l'étude ni l'activité littéraire. Il est chargé par ses supérieurs (1/9/1601) de réviser les écrits de Jean de la Croix en vue de leur impression. Ce qu'il fit durant trois ans (jusqu'à 1603) sur un ms qui conserve encore ses annotations (cf. Simeón-1).
D'après Simeón, Tomás ne cite jamais explicitement le Docteur Mystique (Simeón-3, p. 128), cependant on ne peut douter de sa dévotion envers lui, ni de sa connaissance des écrits du saint, ni du fruit doctrinal qu'il en tira sur de nombreux points et jusque dans des schémas où il expose les tentations et imperfections des commençants, les effets des péchés véniels, l'exercice de l'amour dans la voie unitive, la métaphore du feu et du bois, les signes marquant le passage de la méditation discursive à la contemplation, la purification des puissances sensibles et supérieures par la foi, etc. (Simeón-3, p. 128-59). D'autres études ont abouti à la même conclusion quant à l'influence de saint Jean de la Croix sur le De divina oratione (cf. José-2, p. 182-83, 192).

5) Structure de l'oraison. 

— Les éléments et la structure de l'oraison sont clairement décrits dans la Primera parte del Camino de oración y contemplación, traité fondamental de Tomás. En complétant son schéma avec ses autres ouvrages, on peut obtenir une vision objective assez cohérente.
a) Nature de l'oraison : « Commerce d'amitié », « élévation de l'esprit », « demande du nécessaire », l'oraison est « le chemin de la recherche de Dieu, chemin royal des vertus et de la mortification, qui aboutit à la perfection de la vie chrétienne, terme et but de ce chemin » (Primera parte, f. 3r ; Via brevis, c. 3 ; De oratione div. I, 1). Sur un tel chemin, on part de l'humilité de la condition humaine, on exerce sa pensée et son coeur dans une attitude religieuse, et on confie à Dieu le soin de pourvoir à nos nécessités et de combler nos aspirations.
b) Étapes : Les trois voies classiques : commençants, progressants et parfaits (Primera parte, f. 72-76) sont acceptées clairement et sans discussion dans des écrits ultérieurs (Via brevis, c.9-14 ; De orat. div. II-IV), qui décrivent ces degrés de l'oraison et l'exercice spirituel correspondant : purification, lumière et amour (cf. José-2, p. 160-62).
c) Manières de prier : Tomás distingue les deux espèces d'oraison : l'« acquise » ou ordinaire, et l'« infuse » ou suréminente. Il en explique la nature, les degrés, les moyens et les empêchements (Primera parte, f. 4). C'est là une des contributions les plus personnelles de Tomás à la doctrine sur l'oraison. La distinction des deux espèces d'oraison vaut pour toute étape, voie ou degré de l'orant, et dépend du « mode » de relation prévalant entre l'homme et Dieu : si dans l'oraison prévaut la « recherche-réaction humaine », l'oraison est « acquise-ordinaire » ; si domine l'« action-irruption divine », on est devant une oraison « infuse ». A propos du comment (des « modos »), il pense que la première est à la fois le fruit de la grâce baptismale et l'oeuvre de la religion et de la foi théologale ; et que la seconde est un « don immédiat de l'Esprit Saint au-delà de l'ordre ordinaire de la grâce », don que Dieu fait expérimenter à qui il veut (Via brevis, c. 1 ; De orat. div. I, 1 et 3), mais plus spécialement aux âmes qui s'y sont « disposées ».
Tomás consacre à l'oraison-contemplation acquise la majeure partie du traité Primera parte del Camino (cf. f. 214), les chapitres 8 à 14 de Via brevis orationis et les livres 842 II (c. 1-9) et III (c. 1-10) du De contemplatione acquisita. Le passage de l'oraison à la contemplation acquise est graduel, suivant le progrès dans l'exercice « purification, lumière et amour » (= trois voies) que l'homme doit parcourir ; le passage de la contemplation acquise à l'oraison-contemplation infuse est qualitatif et dépend plus de la volonté divine que de la disposition humaine. D'où le recours aux « signes » donnés par Jean de la Croix pour discerner quand l'âme est dans tel ou tel mode de contempler (De contempl. acquisita II, c. 9 ; Primera parte del Camino, f. 213v).
A l'oraison-contemplation infuse aurait été réservée la Segunda parte du traité resté incomplet Primera parte del Camino (cf. Simeón-2, p. 145), avec un schéma parallèle (f. 196-97). Tomás développe ce sujet dans ses traités De oratione divina seu a Deo infusa et De contemplatione divina, qui coïncident dans leurs contenus et leur structure jusqu'à paraître parfois un simple double (cf. José-2, p. 187-203). Il y traite de la nature de cette « infusion divine » (illapsus Dei) qui caractérise l'oraison suréminente : c'est une action des dons de l'Esprit qui purifie, illumine et unit l'âme à Dieu. L'expérience fruitive de la vie divine dépasse qualitativement les « afectos cordiales » de la contemplation acquise. Elle est ici « contemplatio Dei in calligine » (De contempl. div. VI, c. 46) ou « Dei manifestatio » (ibid., VI, c. 7, et 11) ou « theologia mystica proprie dicta ». « Ce qu'elle est et pourquoi elle est appelée mystique est quelque chose de difficile à comprendre, plus difficile à expliquer et beaucoup plus difficile à expérimenter » (ibid., V, c. 2).
Cette remarque de Tomás peut nous aider à évaluer le service qu'il a rendu pour la systématisation des questions mystiques impliquées dans la théologie et la pratique de l'oraison-contemplation. Dans le premier tiers du 20e siècle on discuta âprement sur la question de la contemplation acquise et de sa connexion avec l'infuse, sur la base de l'herméneutique que Tomás fait de ses sources thérésiano-sanjuanistes (cf. DS, t. 2, col. 183-85). C'est une question spéculative qui demeure ouverte (cf. E. Gurrutxaga). Sans vouloir extrapoler la doctrine de l'auteur, il semble indéniable que son intention fut de revalider l'exercice théologal comme processus suffisant pour l'union à Dieu (cf. nuits actives sanjuanistes = contemplation acquise). Cette « aspiration humaine à la contemplation de Dieu » fait partie de la tradition spirituelle et est commune aux auteurs du Carmel thérésien (cf. P. Hoornaert, p. 372). L'activité discursive (méditation, oraison mentale et cordiale) serait le meilleur moyen d'éveiller l'attitude réceptive (= contemplation infuse), d'autant qu'elle se simplifie progressivement en une manière de prier brève, fervente, jaculatoire, qui prépare et esquisse le « mode suréminent » par lequel Dieu se communique à l'homme qui « expérimente » sa présence (lumière et amour).
Dans son travail de systématisation Tomás de Jesús se trouva devant les mêmes difficultés que le Docteur Mystique. La différence entre les deux est probablement que Jean de la Croix rompit les moules scolastiques de la causalité efficiente-finale et que Tomás s'en fit un carcan dès le début (Primera parte del Camino, f. 4r, 202r, 203v) et jusqu'à ses ultimes conséquences (De Raptu, extasi et prophetia, dans Opera omnia, t. 2, p. 367-453). L'application de la doctrine sur la contemplation infuse à la « communion eucharistique » (De oratione divina IV, c. 26-30) nous paraît être un essai d'explication, très au goût du 17e siècle, de l'expérience obscure de l'orant par celle, encore plus mystérieuse, du communiant.

2° DE L'ORAISON À LA VIE MISSIONNAIRE. 

— Dans l'expérience de son oraison, Tomás a découvert les besoins de l'Église et du monde. D'abord il y voit la salus animarum (1604-1607), puis la salus infidelium (1607-1627). La doctrine sur l'oraison et celle sur les missions sont impliquées réellement et historiquement dans sa réflexion. Lorsqu'il arrive à Rome (1608), son option personnelle est ferme ; et d'autres avaient déjà clarifié le débat interne de la Réforme sur ces problèmes. Cependant il cherche à étayer doctrinalement le projet apostolique de sa vie. Dans une lettre à Jérôme Gracián, il dit être en train d'écrire « un traité De procuranda omnium gentium salute » pour lequel il a « une matière suffisante » et qu'il « ne prétend pas en faire seulement des liasses » (6/8/1608 : AS-Burgos, ms 40-c). Il recueille les fruits des missiologues précédents (Fotherus, José de Acosta) et, par dessus tout, la pensée de son contemporain Jean de Jésus-Marie dont il assimile les ouvrages (Tractatus quo asseruntur Missiones et Votum seu consilium pro Missionibus ; Opera omnia, Cologne, 1622, t. 3, p. 271-77) et qu'il incorpore aux siens propres (cf. Antolín).
Dans ses deux traités missiologiques : Stimulus Missionum (Rome, 1610) et De procuranda salute omnium gentium (Anvers, 1613), notre auteur donne leur véritable mesure aux problèmes de son temps. Sa missiologie doit beaucoup à la culture et à l'ecclésiologie (cf. Alderson, p. 27-36), mais sa conception très large de la mission de l'Église surprend : non seulement « évangéliser les infidèles », mais aussi convertir les « schismatiques, hérétiques, juifs, sarrasins et sectes orientales » (cf. De propaganda, titre). Ce deuxième ouvrage est un monument missiologique en deux volumes et une annexe : « Catecismo general para los catecúmenos de todas las sectas » (éd. citée, p. 866-926), qui jouit durant des siècles de la faveur des papes pour la formation didactique des missionnaires (cf. T. Pammoli, p. 170-203 ; Angelus a Jesu, De Seminario nostro Missionum historica disquisitio, dans Teresianum, 1933, p. 19-66).
La doctrine missionnaire de Tomás est étudiée aujourd'hui dans ses sources, circonstances ecclésiales et éléments permanents (cf. bibliographie). Soulignons que la composition de ces traités de missiologie est contemporaine de quelques écrits spirituels (Suma y compendio et Tratado de Oración mental, Rome, 1610 ; Práctica de la viva fe, Bruxelles, 1613). La préoccupation ecclésiale de Tomás l'empêcha de restreindre sa pensée à son Ordre et l'amena à déployer une activité infatigable à l'intérieur des frontières de la foi catholique (Flandres, France et Allemagne). En témoignent différentes oeuvres, à la fois spirituelles et missionnaires : Thesaurus contra Haereticos (cf. C. de Villiers, Bibliotheca carm., t. 2, col. 818), Censura Theologiae germanicae, De erroribus Mysticorum huius et antiqui temporis (étudiés par J. Orcibal, La rencontre…, p. 46-51, 104-13) et la Quaestio utrum Rex catholicus possit permitiere libertatem conscientiae (cf. Opera omnia, t. 1, p. 751-53). Cette simple énumération peut faire apprécier à sa juste valeur l'ample panorama doctrinal exposé par Tomás de Jesús.
En conclusion, la figure de Tomás est exceptionnelle dans le Carmel et de grand relief dans l'Église du 17e siècle. Son héritage doctrinal, en lien avec les problèmes réels de sa vie, représente un effort vigoureux pour clarifier la théologie de la vie d'oraison et la missiologie. Plus que l'originalité de ses solutions, on apprécie sa sensibilité ecclésiale et son courage pour aborder les problèmes. Nous avons voulu faire 844 ressortir le lien harmonieux entre son existence religieuse et sa doctrine spirituelle ; elle reste actuelle, cette pensée relevée dans une lettre à l'historien de l'Ordre : « En este estudio tengo un poco de gusto, porque estudiando, oro, y orando, aprendo y estudio ; y esto es lo que me entretiene y con lo que vivo con alguna satisfacción, hasta que acabado este destierro lleguemos a beber de la Fuente viva » (cf. Reforma, t. 4, p. 705). Ainsi sont les grands hommes : après avoir fait des recherches et écrits des milliers de pages spirituelles, ils sont capables de répandre des larmes d'émotion lorsqu'ils écoutent le commentaire du verset de Jean de la Croix « Oh Toque delicado ! » (cf. Simeón-3, p. 127).

Bibliographie générale dans Tommaso Pammoli, Il P. Tommaso di Gesù e la sua attività missionaria, Rome, 1936, p. XV-XLIV. — José de Jesús Crucificado (1), El P. Tomás de Jesús escritor místico, dans Ephemerides Carmeliticae, t. 3, 1949, p. 305-49 (surtout p. 306-09). — Simeone della S. Famiglia, Panorama storico-bibliografico degli autori spirituali teresiani, Rome, 1972, p. 31-35.
Thomas a Jesu, Opera omnia, 2 vol., Cologne, 1684. — Pour les manuscrits inédits : Arch. Gen. O.C.D. à Rome (= AGOCD-Rome) ; Bibl. Nac. de Madrid (= BNM) ; Arch. Silveriano PP. Carmelitas de Burgos (= AS-Burgos).
José de Santa Teresa, Reforma de los Descalzos, t. 4, Madrid, 1684, p. 675-707. — Silverio de Santa Teresa, Historia del Carmen Descalzo = HCD, t. 8, Burgos, 1938, p. 569-604. — Thomas de Jésus 1564-1627, Bruxelles, 1939 (coll. Spiritualité Carmélitaine, n. 4). — José de Jesús Crucificado (2), El P. Tomás de Jesús escritor místico, dans Eph. Carm., t. 4, 1950, p. 149-206. — Simeón de la Sagrada Familia (1), Un nuevo codice … de San Juan de la Cruz usado y anotado por el P. Tomás de Jesús, dans Eph. Carm., t. 4, 1950, p. 95-148 ; (2) La Obra fundamental del P. Tomás de Jesús inédita y desconocida, ibidem, p. 431-518 ; (3) Tomás de Jesús y San Juan de la Cruz, dans Eph. Carm., t. 5, 1951, p. 91-159 ; (4) Gloria y ocaso de un apócrifo sanjuanista, dans Monte Carmelo, t. 69, 1961, p. 185-208 et 419-40 ; (5) El fundador del Carmen Descalzo de Colonia P. Tomás de Jesús, dans Jahrbuch des Kölnischen Geschichtsvereins, t. 36-37, 1962, Cologne, p. 131-56. — Jean Orcibal, La rencontre du Carmel Thérésien avec les Mystiques du Nord, Paris, 1959, p. 46-242.
Tomás Alvarez, El ideal religioso de Santa Teresa y el drama de su segundo biógrafo, dans Monte Carmelo, t. 86, 1978, p. 203-38. — Calvin Alderson, Two Theories of Mission (A comparison of the ‘Stimulus Missionum' of Thomas of Jesus and the Vatican II decrees ‘Ad Gentes'), Lima, 1974, 84 p. ; A catholic Pioneer in Missiology, dans Sword, Illinois, t. 37, 1977/3, p. 15-23. — P. Hoornaert, The Contemplative Aspiration : a study of the prayer theology of Tomás de Jesús, dans Ephemerides Theologicae Lovanienses, t. 56/4, 1980, p. 339-76. — E. Gurrutxaga, La contemplazione ‘adquisita', dans La Mistica : fenomenologia e riflessione teologica, t. 2, Rome, 1984, p. 169-90. — F. Antolín, Tomás de Jesús y Juan de Jesús Maria : tema misional, dans Monte Carmelo, t. 96, 1988, p. 387-98.
DS : voir surtout t. 2, col. 174-75, 183-88, 194-95 ; t. 3, col. 413-14 ; t. 4, col. 1169-70, 2168-70 ; t. 7, col. 1105-07, 1328-29, 1497-1503 ; t. 12, col. 737-38 ; t. 14, col. 1343.

Miguel Angel DIEZ.

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